Depuis début janvier, j’ai remarqué une croissance absolument infernale de notifications par e-mail provenant de mon profil Quora. Ce service online spécialisé utilisant le web sémantique est une sorte de Facebook de la question ou de Wikipedia soumis à la Landsgemeinde (démocratie directe avec vote à main levée, pour les yeux internationaux qui se poseraient sur cet article) qui repose, comprenez «dépend», sur la sagesse de ses utilisateurs. Le tout – questions et réponses – en principe se régule avec un système d’édition et de vote pour chaque élément. Les réponses les plus médiocres tombent ainsi dans les limbes, et les plus légitimes, fruit du consensus de cette collaboration, fusent au sommet de la page. Voici pour l’outil. Un constat: l’objectivité n’est pas un but en soi.
Depuis des mois, Quora m’intrigue. Plus que le réseau et la technologie en jeu, c’est l’utilité et les conséquence du web sémantique qui m’intéressent. Quora répond-il a un besoin? Ne l’utilisant qu’en mode observation et requête, j’ai constaté que les problématiques exposées étaient complexes et les réponses pointues. Les sujets abordés étant inévitablement liés aux domaines d’intérêt des early-adopters (technologie, start-up, Paolo Alto…), et n’ayant pas une expertise similaire, je me suis gardée de participer à cette prose parfois très scientifique. A l’évidence, Quora n’est pas une plateforme de débat et encore moins un café du commerce, mais bien un lieu de réflexion exigeant.
A l’image du cycle d’adoption par Gartner, le nombre d’utilisateurs et de questions a récemment augmenté de manière exponentielle offrant à Quora une masse critique, mais qui ne contribue ni plus, ni mieux. Corollaire attendu, la qualité semble décliner. Certains early-adopters s’exaspèrent du manque d’étiquette de ces nouveaux venus, car nul service n’est à l’abri de diarrhée verbale. Désormais, sujets pointus et grand public se mêlent, offrant la redite bruyante d’autres plateformes de self-help: eHow, wikiHow, Howcast. A quoi bon?
Si Quora ambitionne de surpasser les références encyclopédiques de Wikipedia et autres services de question-réponse tels que Yahoo!Answers ou Aardvark, elle le fait de manière très agressive en incitant à la participation compulsive et en usant des mêmes méthodes que Facebook: l’attrait de l’ego. Sur Quora, une fois votre précieuse invitation décrochée pour le club si convoité, et votre profil personnel créé, vous pouvez enfin laisser libre cours à votre humeur (vote, réponse, nouvelle question, édition, etc.) et vous vanter d’y être et de participer.
Quora saura-t-il se départir de cette impulsivité qui risque à la longue de lui nuire? S’affranchir de l’émotionnel, de l’ego de ces nouveaux utilisateurs et créer un réel capital social? Telle est la question.
The interface and framework within which we take a decision may have a greater effect on the decision we make than the actual consequences of the decision.
– Rory Sutherland
Si la forme suit la fonction, l’interface détermine le comportement.
A l’instar d’investissements conséquents dans la construction de complexes aéroportuaires d’exception, l’expérience utilisateur peut être ruinée par une signalétique incohérente. Rory Sutherland, du groupe Ogilvy, nous sert encore une fois des exemples pertinents.
Hauling – un mot bien barbare qui me fait penser à U-Haul, le célèbre déménageur nord-américain. Un rapport quelconque? Si pour vous un déménagement ressemble à une chasse au trésor alors, oui!
Le hauling est l’activité qui consiste à déballer, commenter et passer en revue ses achats sur internet en produisant des vidéos. Très prisées par les jeunes, ces vidéos user-generated (lire ma présentation sur les User-Generated-Content UGC et le social capital lors du Lift@home de novembre) qui dispensent des conseils de beauté et de hype récoltent un nombre d’abonnés et de vues qui font pâlir de jalousie certains professionnels. Pour autant que ces chaînes soient bien l’oeuvre spontanée d’utilisateurs aguerris aux technologies, cette démarche prouve que chacun est aujourd’hui un média à part entière.
Cette tendance semble émergente pour certain, mais pas tant que cela. C’est désormais une caractéristique du monde digital. A force d’investir les différentes plateformes et d’améliorer son personal branding chacun devient un média. Le social capital ainsi généré devient une valeur d’échange et de monétisation de soi: social currency. Brian Solis s’exprimera d’ailleurs sur l’avénement du social currency à Lift11.
Le shopping et la technologie sont deux grandes passions de beaucoup d’adolescents d’aujourd’hui. Les vidéos de haul réunissent les deux.
– Kit Yarrow, Gen BuY
Quelques chaînes…
Hauling shopping par JuicyStar07, plus d’un demi-million d’abonnés
Bien sûr, certains de ces jeunes shoppers n’achètent pas tout ce qu’ils présentent. D’autres proposent déjà leur social currency à qui veut bien payer… de ses produits. Sur la chaîne City and Make-up, 60’000 abonnées, on peut lire:
If you or your company would like to send me a product to review send me an e-mail at…
Le quotidien Le Temps nous annonce ce matin que Starbucks est une marque peu connue (!). Je ne peux que m’étonner de voir la presse et aussi certains blogs comme celui de l’agence Label comparer le nouveau logo Starbucks à la débâcle du logo Gap (un petit rappel ici et là). Il n’y a aucune comparaison possible aussi bien sur le fond que sur la forme.
Pour ceux qui vivraient sur une autre planète, Starbucks est une marque américaine de forte notoriété qui fête ses 40 ans cette année et qui dispose de pas moins de 16’000 boutiques dans 50 pays. Sa spécialité: le café (frapuccino, macchiatto… et tutti quanti), à déguster sur place ou à l’emporter, ainsi qu’une large gamme de produits dérivés ou qui accompagnent votre café. En Suisse, la marque s’implante à Zurich en 2001 et se déploie rapidement sur tout le territoire avec aujourd’hui plus de 40 boutiques. Starbucks inconnue? Pas tant que cela.
Mercredi, Howard Schultz, CEO Starbucks a dévoilé le nouveau logo qui annonce une ère stratégique de croissance (voir vidéo ci-dessus). Le logo est bien évidemment la pointe de l’iceberg de cette nouvelle Corporate Identity et c’est ce qui vaut aujourd’hui à Starbucks de récolter maintes critiques aussi bien positives que négatives, parfois trop émotionnelles et dénuées d’un semblant d’analyse.
Social Business – Starbucks n’est pas Gap
Une des principales raisons qui me laisse croire que certains détracteurs ont tort, c’est le virage digital que l’entreprise a su prendre depuis plusieurs années. Je ne parle pas du nombre de followers sur Facebook ou Twitter, les statistiques quantitatives ne sont pas représentatives. Il faudrait être plutôt attentif à la discussion et au dialogue que la marque génère et ce qu’elle en fait. Avouons que Starbucks est passé maître dans l‘art de construire un social business aussi bien avec de ses collaborateurs et fournisseurs qu’avec ses clients.
Est-il nécessaire de rappeler que Starbucks à l’instar de Dell, Zappos, Best Buy, Pepsi, est l’une des marques les plus sociales au monde. Entendez par là, la situation actuelle n’est pas très effrayante pour Starbucks, car elle est rompue aux techniques de communication digitale, elle sait écouter, dialoguer, engager et co-créer avec ses utilisateurs. Rien à voir avec Gap qui ne s’était jamais vraiment frotté au monde digital.
Utilité de la marque
“La marque doit être à l’écoute de ce que ses consommateurs disent d’elle”, ce raccourci devenu aujourd’hui un argument galvaudé et simpliste n’est plus suffisant. La marque doit écouter, mais elle doit avant tout créer de l’utilité ou un cadre d’utilité qui servent mutuellement la marque et la communauté: il faut avouer que Starbucks le fait très bien avec My Starbucks Idea, une plateforme où chacun peut proposer des idées pour améliorer les services. Ces idées sont triées, mis au vote de la communauté. Si seules quelques uns de ces projets sont réellement implémentés par Starbucks, le processus de soumission et de dialogue autour des idées nourrit la réflexion et l’amélioration du business. C’est cela la social intelligence aujourd’hui.
Simplicité
L’évolution du logo s’inscrit dans un évolution stratégique de l’entreprise: Starbucks ne vendra plus uniquement du café et des sandwichs. En d’autres termes, son business se complexifie et doit à l’avenir être clairement identifiable selon l’industrie qu’elle abordera. La marque, aujourd’hui suffisamment forte, peut évidemment simplifier et épurer son logo, car Starbucks est devenu une marque iconique, une love marque à l’image d’Apple ou de Nike. Culturellement, le nouveau logo paraîtra probablement inapproprié dans les pays du Moyen-Orient, cependant, j’ose espérer que Starbucks associé à Lipincott – Design and Brand Strategy Consultung ont réfléchi à ce type d’adaptations.
Design épuré
Simplification sans perdre l’essence de la marque. Les éléments emblématiques sont toujours présents: sirène et couleur verte. Le nom “Starbucks” et le mot “coffee” disparaissent du logo lui-même, au profit d’une capitalisation sur l’élément iconique de la sirène… déjà présent depuis 40 ans. Va-t-on encore comprendre que la sirène vend du café. Je dirais, et plus encore! Avec cette évolution du logo, Starbucks s’affirme comme une marque lifestyle telle que Apple ou Nike, plus que comme une marque de vente au détail.
Obviously with a brand with such a huge profile as Starbucks, we approach this change very sensitively. We actually explored a very wide range of options and when we stood back and looked from afar as well as looked close, we all unanimously gravitated toward the images that freed the siren from the word mark. We really took inspiration from companies like Nike where at one point they separated the word “Nike” from the “swoosh” in their logo. This allows us to bring our identity to life anytime and anywhere. You’ll see it as we apply it to our white cups that will be showing up in stores around the 40th anniversary.
– Terry Davenport, Starbucks’ svp
Logo: attraction – répulsion
Les consommateurs détestent le changement, on le sait. Mais les marques doivent évoluer avec leur temps et en fonction de leur objectifs stratégiques. En pleine croissance et en année jubilée, Starbucks a bien raison d’adapter son image.
La plupart des nouveaux logos provoquent le mécontentement. Facebook et Twitter ne génèrent pas l’ire des foules, ils l’amplifient et la globalisent. En Suisse aussi, UBS, Credit Suisse, Swisscom ou même les TL pour Les transports publics lausannois ont tous eu leur heure d’introduction plus ou moins bien négociée avec un retour presse, courrier des lecteurs, etc. parfois désastreux.
La marque n’est pas un produit, elle est une entité bien plus complexe qu’un simple élément visuel. Le logo a pour fonction de synthétiser cette complexité. L’identité visuelle en passant par la tonalité d’expression de la marque doit soutenir la mission, les valeurs et les objectifs de la marque. Bref, quand une de nos marques favorites change son logo, c’est un peu comme si votre meilleure amie débarquait avec une nouvelle couleur de cheveux ou le look de Lady Gaga. Vous aurez besoin d’un petit temps d’adaptation…
Mon logo, mon doudou
Un logo n’appartient pas aux consommateurs, cependant ces derniers se l’approprient peu à peu en tissant une relation avec la marque. Ce lien émotionnel, construit sur des valeurs partagées, peut être malmené lors d’un changement, aussi infime soit-il. Il peut s’agir d’un déchirement ou d’une trahison lorsque Gap nous propose un logo qui est complètement différent sans aucune explication. Gap a très naïvement jeté son logo en pâture. Il n’en est rien de Starbucks.
Si les marques (et les agences) se fiaient aux remarques courroucées du public pour leurs nouveaux produits ou leur identité, je ne suis pas sûre que le swoosh de Nike, la pomme d’Apple ou le “trefoil” d’Adidas auraient vu le jour. J’en aurais pleuré.
Whatever happens next, it won’t be what you expected.
If it is what you expected, it isn’t what’s happening next.
– Brian Eno
On ne parle plus que de check-ins, de Facebook Places ou des Specials Nearby, les offres de proximité sur Foursquare. Sous couvert de couponing et de rabais alléchants pour les utilisateurs, les marketeurs se frottent les mains. Le principe n’est pas nouveau: trouver un levier assez puissant – un service ou une offre spéciale – qui motive les utilisateurs à livrer spontanément leurs données personnelles.
LBS, la maladie du futur?
Aux Etats-Unis, seul 4% des utilisateurs utilisent les plateformes Location Based Services (LBS) fonctionnant sur le système d’offres spéciales géo-localisées (Foursquare, Gowalla, Facebook Places). En Suisse, ce marché émergent tombe, par exemple, à 0.1% pour Foursquare. Faut-il s’y intéresser? Si les LBS sont encore relativement confidentiels, n’oublions pas qu’actuellement en Suisse, 1 personne sur 4 se connecte à Internet via son smartphone. Je sens que je réveille votre intérêt.
Big Brother?
Nous arrivons déjà aujourd’hui, grâce aux cartes de crédit et de fidélité, à collecter les types de produits que vous achetez, à quelle fréquence, ainsi que l’argent que vous dépensez. Pour obtenir un outils encore plus puissant, il nous faut maintenant trianguler toutes ces informations avec les données de géolocalisation fournies par les LBS et avec les habitudes comportementales sur le lieu de prise de décision de l’achat.
Hyper local et contextuel
Malgré toutes ces données utilisateur offertes librement, le commerce de détail n’a qu’à bien se tenir, car pour l’acheteur, l’inspection de l’offre (check-out) à même le Point-of-Sale passe par l’accès mobile: comparaison des offres, recommandations, critiques, etc. «Le futur des Location Based Services est le check-out, et non pas le check-in» annonce Tac Anderson. Le jour où un outil alliant Facebook Deals + Foursquare + Groupon (couponing) + RedLaser (un lecteur de code barre) sort sur le marché – j’ai envie d’ajouter aussi avec une fonction de paiement immédiat par mobile -, nous ferons alors face à 3 scénarios possibles: 1) option dramatique: chacun de nous sera exposé à toutes les dérives possibles, The Raise of the Machines; 2) option utopique: les marketeurs feront du hyper-local-personalized marketing, en connectant le bon produit avec le bon client au bon moment et au bon endroit. Un marketing parfait et imperceptible. Le rêve pour certains, un cauchemar pour d’autres. 3) la voix du juste milieux: le respect de la sphère privée de l’utilisateur, l’écoute et le dialogue avec lui afin d’améliorer vos produits, fidéliser et ainsi stimuler la valeur de votre marque.
L’adoption des médias sociaux dans l’organisation est un vaste sujet qui soulève toujours beaucoup d’interrogations auprès des moyennes et grandes entreprises.
Jeudi dernier j’étais invitée par Rezonance – le réseau de personnes, de connaissances et d’affaires s’adressant aux individus et aux entreprises qui souhaitent développer leurs échanges en Suisse romande – à la conférence First, afin de m’exprimer sur un cas concret et issu du domaine public: L’adoption des médias sociaux par la Maire de Genève, Sandrine Salerno (@sandrinesalerno). Voici mon keynote.